— A bord du Wolf —

A bord du Wolf, un des corsaires allemands de la guerre de 1914, les équipages des bateaux alliés qu'il avait coulés étaient groupés par nationalité dans l'entrepont.

Entouré de camarades, un matelot français assis à plat pont à l'aplomb du panneau, travaillait à son petit bateau sauvé du naufrage avec ce qu'il possédait de plus précieux.

Le marin allemand de garde, courbé en deux, admirait... Un violent coup de poing au menton le redressa et le Commandant du Wolf, qu'il n'avait pas entendu arriver, le visage contracté par la fureur, fit succéder à son entrée en matière légèrement brutale, un long discours qui n'était qu'un torrent d'injures.

Puis, se penchant à son tour vers le matelot français qui n'avait pas bronché, il lui dit dans notre langue, aimable et souriant :

- « Oh ! mon ami, le magnifique quatre-mâts ! Il est presque fini, je vois. Je voudrais bien l'avoir, voulez-vous me le vendre ? »

- « Non ! répondit le constructeur sans lever les yeux de son travail, il n'est pas à vendre. Il est pour mon Cap'taine. »

- « Mais je vous le paierai cher, ce que vous me demanderez. »

- « Non. Vous n'avez qu'à en demander un à un de vos hommes, il sera content de vous le donner. »

- « A un de mes hommes ? mais ils n'en font pas, ils ne savent pas, chez nous. »

- « Alors, dame ! Commandant, vous n'en aurez pas. Celui-là, c'est un bateau français. Je le donne à mon Cap'taine et pour rien comme de bien entendu. Il n'est plus à moi. »

Et le commandant parti, il ajouta, s'adressant à ses camarades hilares et approbatifs :

- « Ben, alors, c'est pas la peine d'avoir de si belles barques chez eux, qu'aucun y sache faire des petits modèles ! Et qu'est-ce qu'ils font donc pendant leur quart en bas et qu'ils dorment pas, s'ils travaillent pas à leur bateau ! C'est tout de même de drôles de matelots, hein, garçons ? en plus qu'ils empochent un pare-à-virer* à démâter un bœuf comme une petite bourrade ! »

*Pare-à-virer : gifle

Armand Hayet - Us et Coutumes à bord des Long-Courriers

"Un jeune novice s'applique à mâter un « bateau en bouteille ». Plusieurs matelots travaillent à leurs petits modèles. L'un d'eux a presque terminé son gracieux chef-d'œuvre commencé au début de sa dernière campagne. Dans un morceau d'os, il sculpte maintenant, au couteau, une naïve et délicate figure de proue, « la poupée », comme il l'appelle. Il espère bien, pour grossir son décompte, vendre sa jolie frégate à quelque généreux terrien... mais à peine débarqué, il la donnera sans regret à la première fille de bouge qui la lui demandera".

Armand Hayet - Chansons de bord