— La lune, maîtresse des mers —

"Un jour la Mer n'ayant pas suffisamment résisté au Vent du Nord, brisa sur un écueil un magnifique vaisseau qui transportant deux mille hommes, femmes et enfants, qui n'étaient pas marins. La Lune, indignée, reprocha à la Mer toutes ces morts horribles. Mais la Mer lui répondit insolemment, lui demandant si elle la prenait pour un mousse et si elle se croyait son capitaine ? Devant cette attitude, la Lune résolut de punir cette Mer insensée et à l'heure de son coucher, au lieu de se glisser derrière elle ainsi qu'elle le faisait depuis toujours, elle la frôla légèrement et dans le temps d'une ampoulette... elle l'avala !

Ce fut un grand désastre ! Impossible de pêcher : la Lune n'avait laissé pour les poissons que des trous, des sortes de puits sans fond dont l'orifice n'était guère plus large que la marmite du maître-coq et qui étaient situés à des centaines de milles des anciennes côtes. Tout le commerce était arrêté ou réduit à presque rien. On coupa leurs mâts et on mit des roues aux plus petits bateaux ; on démolit les autres pour construire de grandes voitures. Et tout cela était remorqué par de nombreux chevaux. Mais les distances à parcourir étaient énormes. Les voitures de cabotage mettaient des mois à effectuer leurs traversées et des chariots armés au long cours pour les Iles n'étaient jamais revenus ! avec ça ; pas de routes tracées et le fond de la mer était abominablement accidenté, semé de roches, de squelettes de monstres, de coquilles, de bancs de vase et de sables mouvants, d'épaves et de barres de sel grosses comme des trois-ponts ! Cela ne pouvait durer...


Au bout de la dixième année, un capitaine rencontra la Lune. « Bonne Lune, s'écria-t-il, écoutez-moi, je suis un ancien marin comme vous le voyez et je vous suis spécialement voué puisque je me nomme le capitaine Lunaire. Pitié ! l'humanité ne peut vivre sans navigation. Songez aussi à la situation affreuse des marins qui, eux, vous ont toujours aimée et respectée... Regardez-moi, j'ai un fouet à la main au lieu de mon porte-voix, mes gabiers sont devenus des postillons et mon grade est maintenant : Capitaine de charrette !... Bonne Lune, de grâce ! rendez-nous la Mer ! »

La Lune émue consentit à rendre la mer. Il faut dire qu'habituée à se désaltérer aux cargaisons d'eau douce des nuages, elle commençait à être un peu gênée par la mer salée.

« Je vais, dit-elle, pour mettre fin à la grande peine de mes amis les Marins, libérer la Mer, mais en punition, elle restera toujours sous mes ordres et exécutera docilement les manœuvres que je lui commanderai. »

Et voila pourquoi, depuis cette époque, la Mer revenue sur la Terre, a la Lune comme maîtresse. Elle lui obéit comme mousse à capitaine, faisant à son commandement flots et jusants petits ou grands..."


Armand Hayet - Dictons et tirades des anciens de la voile

Les histoires du Capitaine
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